Luzzatto Sergio: Padre pio - miracles et politique a l'age laic

Ce livre raconte l'histoire de l'Italien probablement le plus important du XX e siècle, du fait de ses stigmates. Et alors ? Nous plongeant dans le monde bigarré des frères et des prêtres, des clercs et des laïcs, des croyants et des athées, des bons et des méchants, des cultivés et des ignorants qui ont cru au caractère surnaturel de ces plaies et de ces miracles, ou ont refusé d'y croire, Sergio Luzzatto nous donne ici le grand livre sur la manière dont l'historien-anthropologue doit parler de la sainteté à l'âge laïc : les stigmates -vrais ou faux, ici n'est pas la question - d'un individu sanctifié disent moins de lui que du monde autour de lui, des attentes, du besoin de croire, de l'angoisse des intercessions. Mais encore ? Le 20 septembre 1917, dans le couvent du petit village de San Giovanni Rotondo dans le Gargano, un frère capucin se recueille en prière quand il voit paraître un « mystérieux personnage » avec du sang qui s'écoule de ses mains, de ses pieds et de son flanc. Effrayé, le frère invoque l'aide du Seigneur, la figure se dissipe aussitôt, mais la terreur du Padre Pio est à son comble quand il découvre les stigmates de la crucifixion de Jésus inscrits sur ses mains . À partir de ce seul commencement, Sergio Luzzatto déploie une enquête extraordinaire : sur l'ordre mineur des Capucins qui tenait enfin, face aux Franciscain, son heure de gloire ; sur les Pouilles, région retardataire, saignée à blanc par la Première Guerre mondiale d'où sont revenus des survivants aux corps mutilés portant les stigmates de technologies guerrières et que les chantres du nationalisme transformèrent en plaies vivantes du devenir christique de la nation ; sur la violence sociale dans la région qui très vite opposa les ouvriers agricoles occupant les terres aux grands propriétaires qui lancèrent contre eux un des premiers faisceaux de Mussolini au prix du plus grand massacre de militants socialistes ; sur l'alliance entre le cléricalisme et le fascisme qui se noue alors, dont un des piliers sera l'Université catholique du Sacré-Coeur mise au service culturel du fascisme et qui des décennies durant disputera de la vérité des excroissances surnaturelles de Saint François et des doutes suscités par les plaies de Padre Pio creusées peut-être par de l'acide; sur la présence dans l'entourage du saint de hiérarques fascistes tels Giuseppe Caradonna ou Carlo Delcroix, tour à tour chantres du Duce puis, passé la chute du régime, biographes autorisés du saint, sans oublier d'autres qui offrent au moine un hôpital avec l'argent du marché noir dans le Paris de l'Occupation ; sur la reconquête catholique de la société italienne après-guerre avec l'explosion du culte du Padre portée par la presse magazine consacrant ses unes au Padre ou à des starlettes et par les tentatives de la Démocratie-chrétienne de mobiliser électoralement le Padre ; sur la christologie et la définition de ce qu'est l'Église selon Jean XXIII, hostile au culte du capucin et selon Jean- Paul II qui le canonisera ; sur la place somme toute de ce capucin dans la longue chaîne qui voit, depuis la Contre-Réforme catholique, l'Église répondre par une surenchère à la demande de liturgies rassurantes, de culte protecteurs et d'analgésiques sociaux.