Jepsen Erling: Sinceres condoleances

Dans L'Art de pleurer en choeur, paru en mars 2010 chez Sabine Wespieser éditeur, le narrateur mis en scène par Erling Jepsen avait onze ans. Toute la force du roman tenait dans le contraste entre l'innocence du jeune Allan, pétri d'admiration pour son père, et la sombre réalité que laissaient entrevoir ses observations naïves. Sincères condoléances s'ouvre au moment où Allan apprend la mort de son père. Au fil des années, le garçon candide a cédé la place à un homme tourmenté qui, depuis longtemps, a rompu avec ses parents. Devenu un auteur à succès, il n'a de cesse, dans ses pièces de théâtre, d'étaler au grand jour les secrets et les turpitudes de son enfance. Malgré tout désireux de renouer avec sa mère, il se décide à lui envoyer une couronne pour l'enterrement, assortie de la formule la plus banale et la plus froide qui soit. Touchée par ce pauvre Sincères condoléances , celle-ci l'appelle et obtient de lui qu'il revienne enfin la voir. Il convainc sa soeur Sanne, restée traumatisée par le cauchemar familial et toujours sous antidépresseurs, de l'accompagner. Les voici en route pour ce village du sud du Jutland où s'est déroulée leur enfance aujourd'hui honnie. Allan, avec ce retour au pays natal, désire tirer un trait sur le passé. Il veut tenter de conjurer l'image de ce père qui, au fil des années et des ressassements, est devenu à ses yeux de plus en plus monstrueux. D'autres abîmes s'ouvrent alors sous ses pieds : le comportement de sa mère, si douce et effacée dans son souvenir, l'atmosphère irrespirable de la maison, l'attitude de l'entourage, le mènent à ouvrir l'enquête. Ce qu'il va découvrir - la cause réelle de la mort de son père - va bouleverser son univers. Ce père, avec qui il règle des comptes depuis si longtemps, était-il si abominable ? Cet homme, dont il pensait qu'il avait perversement manipulé sa famille, n'a-t-il pas lui-même été une victime ? Derrière la manière grinçante, l'humour noir et le sens du burlesque de l'écrivain, Sincères condoléances s'avère une subtile réflexion sur les traces que laisse l'enfance dans la vie des hommes. Erling Jepsen interroge sans complaisance l'ampleur des malentendus et des mauvaises interprétations dans lesquels la culpabilité familiale fait son nid. Et son livre est diaboliquement mené.