Reprouves, bannis, infrequentables

Quinze dissidents (écrivains, penseurs, essayistes), certains morts, les autres toujours actifs, mais qui sont tous en rupture avec un système d'autant plus pervers qu'il parvient parfois à les récupérer. La plupart d'entre eux ont connu une « affaire » : un lynchage médiatique, dont beaucoup ne se sont pas remis ; et ceux qui n'en ont pas été l'objet n'en ont pas moins subi le discrédit. La réception de leur oeuvre en a pâti : silence des médias, boycott des librairies, retrait des institutions, réputation malmenée, mise au ban de l'université, assignation devant les tribunaux... Boutang exclu de la Sorbonne, Campo indépendante jusqu'à l'impardonnable, Pasolini chassé du PCI pour homosexualité, Leys obligé de faire carrière en Australie, de Roux et Millet bannis du milieu éditorial, Debord et Bodinat s'excluant eux-mêmes du système, Handke déprogrammé de la Comédie Française, Camus et Nabe finissant par s'auto-publier, Houellebecq jugé pour islamophobie, Dantec s'exilant au Québec, Muray mourant à temps, si l'on ose dire, Michéa empoisonnant la gauche au point de paraître l'ennemi de son propre camp... Les trois adjectifs du titre disent bien ces différents niveaux d'exclusion. La moralisation générale n'empêche pourtant pas qu'on continue à lire ces auteurs, qui trouvent même une actualité singulière, car ce qui était, chez eux, de l'ordre de l'intuition, apparaît aujourd'hui dans toute sa vérité : révéler les abominations contemporaines.