Smiley Jane: Jusqu'au lendemain

Face à un présent qui leur échappe, les trois filles d'Anna Robinson n'aiment rien tant que se réfugier dans l'évocation du passé. Tandis que leur père, malade, se meurt lentement dans sa chambre, elles se chamaillent sur les détails de la légende familiale, prennent leur mère à partie, s'efforcent de survivre au milieu des ruines de leur existence : les deux aînées sont veuves, et la benjamine divorcée. Faute de contrôler leur propre vie, elles s'immiscent dans celle de leurs parents et tentent de leur imposer une garde-malade, mais Anna, qui supporte mal leur intrusion, résiste avec obstination. C'est dans cette atmosphère tendue qu'arrive Christine ; la petite-fille d'Anna traverse une crise qui pourrait la conduire au divorce et à l'avortement, et ses trois « gardiennes » (sa mère et ses tantes) vont chercher à lui dicter sa conduite. Au milieu du chaos familial, Anna semble être la seule à garder son sang-froid. Ses filles et Christine, qui la considèrent comme le pilier indéracinable du foyer, s'accrochent à elle à son corps défendant. Anna est en effet pleine de contradictions, et son conformisme se heurte à un sentiment de révolte. Si elle a toujours suivi la norme - elle s'est mariée, a fondé une famille -, présentant une façade lisse aux autres, elle aspire à être seule, délivrée de ses devoirs dont elle s'acquitte avec exaspération. Ses filles, qu'elle a aimées petites, lui pèsent : bien qu'elles aient toujours été libres de leurs choix, elles n'ont pas eu la vie dont elles rêvaient et s'envoient leurs échecs mutuels au visage. Son époux, un homme brutal et très physique qui ne l'a jamais comprise, est devenu un fardeau. D'une nature contemplative, Anna a la nostalgie de ses chères montagnes dont il l'a éloignée pour l'emmener vivre dans l'Iowa, État au paysage plat et monotone. Elle aussi revisite le passé, et son voyage dans le temps, s'il est moins idéalisé que celui de ses filles, se teinte néanmoins de poésie. Dans cet entrelacs de pensées et de rêves parfois éveillés se succèdent un soir, une nuit, une matinée, et c'est l'après-midi, au cours du quatrième acte de ce huis clos, qu'Ike Robinson s'éteint doucement. Sa mort, loin d'être triste, vient comme un soulagement pour Anna : elle se remet à faire des projets, envisage enfin de se faire plaisir, et accède à une certaine forme de sérénité. L'avenir lui paraît soudain ouvert, et l'idée de revoir les lieux qu'elle a tant aimés lui apporte la paix.